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Port-Royal, 1720, le port de la ville est un lieu où affluent des navires provenant des quatre coins du monde. Au loin, un homme, en haut d’un mat, arrive fièrement dans l’ancienne capitale de la Jamaïque. Surplombant son environnement, toute sa splendeur s’écroule lorsque que son bateau coule peu à peu dans les eaux. Doucement, la fragile embarcation n’est plus en état de naviguer. Lorsque le capitaine du navire pose pied à terre, c’est la fin pour son véhicule – totalement submergé dans les eaux.  

 

Quelques pas plus loin, notre héros est directement interpellé par les forces de l’ordre. Le capitaine tente de les amadouer ; mais rien n’y fait. Après des affrontements avec des soldats anglais, qui entrainent pertes et fracas, le capitaine infortuné réussit in extremis à s’enfuir. Avant de mettre les voiles, ce dernier hurle : « Que cette journée reste à jamais celle où vous avez failli capturer le capitaine Jack Sparrow ». Acte vain, car Jack rejoint les geôles de Port-Royal après son affrontement face à Will Turner.

 

Dans l’introduction du film Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl, que peut-on déceler du personnage de Jack Sparrow ? Il est charismatique, fascinant mais il est aussi sale, menteur et peut être caractérisé comme un traitre. De plus, ce n’est aucunement l’attitude d’un héros ; on pourrait plus aisément le décrire comme l’antagoniste d’un long métrage. 70 ans auparavant, ce pirate au cinéma serait parfaitement désigné comme le rival du héros, imposant mais aussi trompeur. Pour autant, Jack Sparrow est bel et bien le protagoniste du film. Contrairement aux autres pirates interprétés au cinéma, un bond s’est opéré entre les personnages des années 1930 et ceux d’aujourd’hui.  

 

Ecumeur des mers, ce contrebandier s’avère être un personnage rempli de symboles. Dès l’invention du cinéma et jusqu’en 1940, c’est avant tout un vaurien gentleman. C’est à partir des années 1950 que le pirate connaît une lente dépréciation et devient petit à petit un aventurier violent. Il est à la fois chapardeur et un héros au grand cœur qui n’hésite à prendre aux riches pour donner aux plus pauvres. Revenons ainsi sur quelques œuvres majeures du genre cinématographique des récits de cape et d’épée pour décoder l’évolution de ce baroudeur des océans.

D’ores et déjà, il est aisé de dépeindre la figure du pirate dans l’imaginaire hollywoodien. C’est un homme, généralement blanc, charismatique et viril. Il se présente comme un vaurien mais cache des airs de gentleman. Ce genre de personnage se trouve être le capitaine du bateau. Il est un leader né et doit, par nécessité, prendre les commandes du navire mais aussi de cette société maritime. Au sein de ces bateaux, c’est une hiérarchisation instantanée qui s’implante. On y retrouve le capitaine téméraire, le personnage enveloppé, le comique du groupe et l’individu qui joue sur les deux tableaux – pouvant trahir le capitaine à tout moment.

 

Ce qui est à comprendre dans ce tour de table, c’est qu’Hollywood dépeint une vision stéréotypée et accessible de la piraterie. Chaque spectateur doit vouloir voyager avec cette bande de bandits hétéroclites et, même par leurs actions répréhensibles, les trouver admirables. Cette figure du pirate, capitaine malgré lui, devient un héros émancipateur. A l’instar du gangster, le pirate est une représentation, aux traits forcés, d’un peuple qui se rebelle contre un pouvoir étatique autoritaire. Il est bon de spécifier que ces films de pirates retracent des histoires qui se déroulent entre le XVIe et le XVIIIe siècle. C’est-à-dire une période de colonisation des Caraïbes. Ce voyage est un moyen de fuir l’ancien continent, trop perverti, pour ainsi créer un nouveau monde ; ou plutôt établir une société avec les anciens codes mais purifiée de ses maux. Le pirate apporte ainsi la liberté dans les îles.

 

Le premier film de pirates est difficilement datable. Ce qui est sûr, c’est que le genre est né dans les années 1920. C’est bel et bien le film Capitaine Blood (Dir. Michael Curtiz ; 1935) qui a posé les bases de ce genre cinématographique. Alors que Peter Blood (interprété par Eroll Flinn) était médecin en Angleterre, il est envoyé au bagne en Jamaïque pour acte de lèse majesté. Sur l’île anglaise, ce dernier s’échappe et écume les mers en compagnie d’anciens esclaves. Après plusieurs péripéties, comprenant une histoire d’amour avec la nièce du gouverneur, Blood est amnistié et devient lui-même le gouverneur de la Jamaïque.

 

Ce long-métrage est la parfaite caractérisation d’un film de pirates américain : un héros captivant et libérateur ; des canonnades entre deux navires ; une noblesse dans l’idéologie politique du pirate. Blood pousse cette dynamique encore plus loin en soignant ses adversaires. Sur le nouveau continent, le pirate est un homme d’une grande bonté. Marqueur de cette évolution positive, la rencontre entre la nièce du gouverneur – Arabella Bishop – et Blood, marque une inversion de la tutelle et de la possession de pouvoir. Lors de leur première rencontre, un champ-contrechamp est opéré ; la caméra met en valeur Arabella et écrase Blood pour ainsi marquer la supériorité sociale de l’un sur l’autre. La rencontre suivante, lorsque que le capitaine devient gouverneur, c’est l’effet inverse qui se met en œuvre. Cette fois-ci, c’est Blood qui domine car il a obtenu la liberté et, par sa bravoure, a affronté un détenteur du pouvoir autoritaire, l’oncle d’Arabella.

Par ailleurs, il est impossible de parler des films de pirates sans mettre un mot sur la mer des Caraïbes. Identifiable par tous, elle est le parfait opposé des huit clos. L’océan symbolise ce nouvel horizon pour nos personnages. De plus, un film de pirates est aussi une histoire remplie d’escales. Des lieux où l’aventurier doit se battre ou se ressourcer – on pense notamment à l’île de la Tortue et son repère de contrebandiers. Ces îlots, qui peuvent s’apparenter à des navires gigantesques au milieu de la mer, sont des établissements humains sous l’autorité de colons européens. Les administrateurs anglais ou espagnols deviennent dans ces films les antagonistes principaux. Ils représentent une autorité dominatrice entravant toute liberté, ce à quoi le pirate répond en se donnant le devoir de briser les chaînes de cet absolutisme.

 

Enfin, pour continuer dans cette imagerie fantasmée, il serait bon d’étudier les rôles féminins dans ces longs métrages. Historiquement, les femmes étaient peu présentes dans les Antilles de l’époque moderne. A cette période, ce sont majoritairement des colons hommes qui venaient peupler les territoires insulaires. Malgré tout dans le cinéma hollywoodien, les femmes offrent une image de fragilité et de prospérité lorsqu’elles et le pirate finissent ensemble. Très souvent enlevée et séquestrée, la femme embrasse petit à petit le côté rustre du personnage mais aussi son idéologie. Il arrive qu’elle puisse peut être une aventurière, comme Anne Bonny (1705 – 1782), qui a très largement inspiré le personnage du capitaine Anne Providence (interprétée par Jean Peters) dans La Flibustière des Antilles (Dir. Jacques Tourneur ; 1951). Quoi qu’il en soit, d’une manière générale, la femme est avant tout un love interest pour le héros – brigand du film. Ces exemples ne fonctionnent que pour les femmes occidentales, celles racisées sont très peu présentes, voire absentes de ces œuvres filmiques.

 

A partir des années 1950, c’est l’essoufflement du genre des films de cape et d’épée. Alors que le western, genre aussi populaire dans les années 1930 – 1940, a réussi à se renouveler ; les films de piraterie ont très peu évolué avec leur époque. L’aspect triomphaliste, présent à la fois dans le western et dans les films de pirates, disparaît à partir des années 1960. Suite aux exactions commises en Corée ou au Vietnam, les étasuniens semblent moins ouverts aux anciennes traditions et images véhiculées. C’est le souhait de découvrir de nouvelles thématiques. Les productions faramineuses, où la violence et la guerre sont les solutions à tous les maux ne sont plus les films attendus par le public. Ce repli vers des longs métrages plus intimistes entrainent ainsi un délaissement des films de cape et d’épée.

Dès lors, ces œuvres, à moindre budget, donnent une représentation toujours fantasmée de la Caraïbe mais avec des personnages plus truculents. Le pirate quitte son image d’homme galant pour laisser place à un aventurier sans foi ni loi. Il reste sympathique mais n’est plus le héros rédempteur des précédentes productions. Il est une sorte de parodie malhonnête, loin de ce que Errol Flinn dépeignait à l’écran. Des productions à petit budget ou parfois même des parodies, comme Barbe-Noire, le pirate (Raoul Walsh ; 1952) mettent en avant un écumeur des mers toujours en combat face à l’autorité mais cette fois-ci pour son propre but.

 

Tout au long de cette œuvre, Barbe-Noire – ou de son vrai nom Edward Teach – peut être décrit comme un anti-héros. Même si des personnages plus positifs gravitent autour de lui, c’est bien ce dernier qui est l’acteur principal du film. Il prend les décisions importantes ; même si ses actions sont souvent criminelles. Comme à la fin du film, après avoir caché un trésor à l’insu de tous, l’équipage apprend la trahison de leur capitaine. Dès lors, un affrontement s’engage. Barbe-Noire est maitrisé et enterré dans le sable face à la mer. Devant l’océan, son lieu de vie et d’évasion, le capitaine est englouti par la marée – châtiment infligé pour le punir de tous ses choix malhonnêtes.

 

Même si beaucoup affirment que les pirates au cinéma sont devenus des figures du passé, on peut tout de même analyser un certain parallèle entre ces totems filmiques et le peuple américain des années 1950 – 1960. Tandis que le capitaine Blood symbolisait l’homme de providence dans cette Etats-Unis du New Deal ; Barbe-Noire représente plutôt une nation étasunienne repliée sur elle-même qui cherche profit pour soi-même et non plus pour le bien commun. Au début du cinéma, le personnage de Blood est un parallèle exagéré de ces colons européens apportant civilisation et savoir sur le nouveau continent. Plus tard, à la sortie de la seconde guerre mondiale jusqu’au nouveau millénaire, le pirate au cinéma devient comme le gangster, ou le commandant militaire : un homme malhonnête qui a gagné ses jalons par la violence.

C’est à partir des années 2000 que le genre connaît une renaissance avec la sortie en salle du film Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (Dir. Gore Verbinski ; 2003). Ces cinq épisodes de la saga Disney reprennent les codes classiques du film de pirates et y ajoutent à cela de nouveaux thèmes – horreur, fantastique – afin de divertir le public. On pense notamment au combat final opposant Jack Sparrow et le capitaine Barbossa. Ce dernier a volé le navire de Sparrow, le Black Pearl, bateau mystique qui est le plus rapide des mers. Pour récupérer ce bâtiment, Jack s’empare d’un artefact maudit et devient, comme son ennemi juré, un squelette vivant. Les deux s’affrontent et notre héros, plus malin, réussit à tuer Barbossa.

 

Au contraire de capitaine Blood qui se bat avec vaillance, Jack Sparrow est plus logiquement son opposé. Il n’est pas aussi malsain que Barbe-Noire mais n’est pas non plus vertueux. Sparrow est un héros en demi-teinte. Il trahit constamment mais revient régulièrement sur ses choix. Comme nous le prouve le second opus de la saga, Pirates des Caraïbes : le Secret du coffre maudit (Dir. Gore Verbinski ; 2006), où Jack envoie en mission le jeune Will Turner dans une expédition dangereuse, même mortelle, mais c’est à la tout fin du film que Sparrow tente de limiter les dégâts en sauvant son compère. Le capitaine du Black Pearl est donc multi-facette : héroïque, comique mais aussi plus sombre, par ses nombreux actes déloyaux.

 

Il est évident que rendre ce personnage si ambivalent est une demande du public. A l’entrée du nouveau millénaire, le souhait n’est plus de voir des personnages manichéens. Jack est la synthèse de cette nouvelle approche. De plus, comme dit précédemment, le film de pirates suit des codes stricts. Pirates des Caraïbes a réussi à rebattre les cartes de ce genre cinématographique. En alliant parfaitement humour, horreur et action, ce film prouve malheureusement que les longs métrages de piraterie ne peuvent uniquement survivre que si ces derniers sont novateurs et embrassent d’autres genres/thématiques.

 

Même si le succès de ces aventures de forbans aurait pu être le moyen de renouveler la formule, il s’avère que Pirates des Caraïbes est une franchise solitaire. Très peu de films ont gravité autour de cette dernière. Au point qu’un conflit est né entre les cinéastes pour savoir si les films de pirates n’étaient pas morts après ce dernier coup d’éclat de Disney. Même si le débat persiste, il est difficile de savoir si un genre peut véritablement disparaitre. Objectivement, un genre ne meurt jamais car il est possible de produire autant de longs métrages que l’on souhaite. Cependant, au vue de la faible demande actuelle du public, il est indéniable que le film de pirates – comme les péplums ou les westerns – n’est plus ce spectacle attendu par tous.

 

En guise de conclusion, ce genre cinématographique a offert une vision magnifiée de son aventurier et de la Caraïbe. Ce marin pillard est avant tout un homme de combat juste. Il affronte les puissants pour redistribuer aux pauvres. Ce Robin des Bois maritime vogue sur l’endroit le plus indépendant de tous : la mer. Cette dernière,  impossible à délimiter ou à gouverner, se retrouve être l’élément d’évasion ultime. La mer des Caraïbes représente ce lieu d’exode, de fugue pour construire un monde meilleur. Les films de pirates sont avant tout des œuvres de divertissement, et cela perdure jusqu’à aujourd’hui.

 

D’un autre point de vue, des thématiques, telles que la traite négrière ou les exploitations agricoles esclavagistes, sont si peu abordées dans ces longs métrages de pirate que l’enjeu de ces productions paraît simple : le public doit être égayé et amusé. Néanmoins, on peut se demander si l’univers de cape et d’épée avait changé sa ligne de conduite dans les années 1950, vers des films plus militants, traitant de propos plus sensibles ; est-ce que ce genre aurait connu une longévité plus durable, comme le Western ? Malheureusement, cette question restera dans le domaine de l’hypothétique.

Alexandre

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