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« Trente-cinq ans… Tu te rends compte de la perte… Quelle époque de cons ! Le pauvre mec, il est mort à trente-cinq ans ! » – Patrick Dewaere à propos de Wolfgang Amadeus Mozart dans Préparez vos mouchoirs (1978)

 

Aucune rue, aucun bâtiment, simplement un homme qui écoute, en plein milieu d’un terrain vague, la radio dans sa voiture. Lorsque ce dernier sort du véhicule, il joue, comme un enfant avec l’autoradio. Seul au monde, Franck s’amuse, se métamorphose en quelqu’un d’autre. Tour à tour, il devient un policier, un bagarreur, un danseur, un musicien mimant un instrument dès que la musique s’intensifie et que le solo du saxophoniste monte en puissance. Sous une pluie orageuse, Franck refuse d’être lui-même et s’invente des vies. La caméra opère un travelling arrière et s’offre à nous un plan large où l’acteur paraît minuscule dans ce terrain abandonné. L’écran titre apparaît : Série-Noire (1979).

 

Un inévitable pour les adorateurs de Patrick Dewaere, le film dépeint l’histoire d’un homme qui ne trouve pas ses marques dans la société. Malmené de toute part, le personnage Franck se retrouve être un marginal. Un exclu de la société, qui tombe dans le crime, d’abord pour gagner de l’argent, puis pour sortir de la morosité dont il est prisonnier. Ce personnage, individu inadapté, ressemble à s’y méprendre à son interprète. En cette observation, peut-on dire que Patrick Dewaere et Franck sont eux aussi des extravagants de la société, tous deux intimement liés par leur personnalité ? Perdu, toujours considéré comme déphasé avec son époque, Frank comme Patrick cherchent simplement un peu de reconnaissance. En dehors des plateaux, le comédien est tout comme son personnage de Série-Noire : un « être à part » – d’après les paroles de Alain Corneau, réalisateur de ce long-métrage.

Patrick Dewaere, de son vrai nom Patrick Bourdeaux, est né le 26 janvier 1947 à Saint-Brieuc. Issue d’une famille de dramaturges, les Petits Maurin (nom de la troupe familiale), l’enfant est dès son plus jeune âge sur les planches. Alors âgé de huit ans, le garçon interprète des rôles pour la troupe de comédiens, dont la pièce Procès de famille, où son personnage est déchiré entre trois familles qui souhaitent obtenir sa garde. Cependant, il convient de se souvenir qu’à cette époque Patrick Dewaere est un élève qui se rend chaque matin à l’école publique, puis le soir joue devant un public, parfois jusqu’à tard. Ces débuts artistiques vont, certes, lui donner le goût du jeu, mais au prix de troubles certains et d’un manque de repères sociaux nécessaires pour un jeune garçon – d’après les paroles de Mado Maurin, la mère de Patrick Dewaere.

 

Après des différends familiaux, Patrick quitte la troupe de théâtre qui l’a vu naître artistiquement. En 1966, lors d’une brève apparition dans le film Paris Brûle-t-il ? de René Clément, Dewaere est recontacté par le réalisateur pour jouer dans ses prochaines créations. A partir de cette rencontre, l’acteur enchaine, pendant quelques années, les petits rôles et tous les métiers à la disposition d’un interprète. A la fois chanteur avec François Hardy, figurant dans des courts ou des longs métrages, doubleur, Patrick Dewaere rencontre tous les artistes influents de Paris, notamment Coluche ou Bertrand Blier.

 

Dès le début des années 1970, la carrière cinématographique de ce dernier débute véritablement. Son jeu d’acteur s’affine et son nom apparaît enfin sur les affiches de cinéma. Avant de rentrer dans les détails de la filmographie de l’artiste, le but de cette rubrique est de parler de cinéma et de technique. Cependant, il est évident que la vie privée de l’acteur doit être observée pour comprendre les performances de l’interprète. Le souhait, dans cette analyse, est de mettre de côté tous les commérages, tel que les ruptures amoureuses qu’a connu Patrick Dewaere. En revanche, les grands événements, qui ont marqués implicitement sa façon de jouer, vont être brièvement aperçus sans jamais tomber dans les rebondissements médiatiques.

 

En 1974, sort le film Les Valseuses, de Bertrand Blier. Véritable hymne à la sexualité décomplexée et à la confrontation des mœurs français de l’époque, ce long-métrage fait connaître au grand public trois grands acteurs du cinéma hexagonal : Miou-Miou ; Gérard Depardieu ; Patrick Dewaere. L’histoire peut s’apparenter à un Road Movie où deux individus traversent la France, accompagnée d’une coiffeuse, afin de fuir la police. Vivant de petits larcins, les trois personnages agissent selon leurs envies. Le film est ponctué de scènes de sexe, où les codes classiques de la moralité sont continuellement remis en cause. On parle ici de relations bisexuelles, de prostitution, où de dépucelage de la part du duo faite sur une jeune fille. Au sein de cette production, Patrick Dewaere dévoile son jeu d’acteur qui lui sera si distinctif : un homme fragile, toujours dans l’ombre de quelqu’un – cette fois-ci de Gérard Depardieu – blessé par des amours ou des envies impossibles.

Auprès de Blier ou même auprès de Yves Boisset – dans le film Le juge Fayard dit le Shériff (1977), le comédien prend le public en haleine et fait monter la tension. Tel un élastique, Dewaere encaisse les événements, pour finalement exploser à l’écran dans un excès de rage. Dans Les Valseuses, cette montée de zèle est perceptible lorsque le personnage de Jean-Claude, joué par Depardieu, tente des avances sexuelles à Pierrot (Patrick Dewaere). Dans La meilleur façon de marcher (1976), de Claude Millier, toujours mis au pied du mur par des propositions sexuelles, le personnage de Dewaere joue le jeu, puis, par agacement et énervement, flambe jusqu’à en venir au coup. En prenant ces deux exemples, le jeu de l’acteur peut s’apparenter à un interprète qui monte facilement dans les tours. Seulement, là où réside l’habilité de cette poussée de colère, c’est grâce à la tension que laisse sous-entendre les mimiques du comédien. Dewaere est un perfectionniste dans son travail. Chaque réplique, émotion, doit être maîtrisée par un rigorisme intransigeant.  

 

Dans l’ensemble, le jeu d’acteur de Patrick Dewaere se rapproche de la méthode « Actor Studio ». Initialement mis au point par le dramaturge russe Constantin Stanislavski – dans les années 1930 – cette technique propose un apprentissage dramaturgique afin d’atteindre une identification physique et mentale avec le personnage que le comédien doit interpréter. Ce procédé s’est exporté en Europe et plus particulièrement aux Etats-Unis, et a connu un succès immédiat, notamment par l’appui de figures du cinéma hollywoodien ; tel que Marlon Brando ou Elizabeth Taylor. L’acteur américain, Lee Strasberg a enrichi cette méthode en ajoutant que l’artiste doit devenir, le plus possible, le protagoniste. En somme, si un rôle dépeint celui d’un individu atteint d’un stress post-traumatique à cause d’un événement à la guerre, l’interprète doit vivre, s’exprimer, bouger de la même manière que le personnage en question.

 

En suivant ce postulat, Patrick Dewaere suit cette ligne de conduite à la lettre. Dans Coup de Tête de Jean-Jacques Annaud, sortie en 1979, le film raconte l’histoire d’un joueur de foot, François, d’abord adulé par ces talents de sportif, puis accusé à tort d’un viol. Il est exclu du village et méprisé par tous les habitants. Alors qu’il est un banni, les notables de la ville lui demandent de revenir au plus vite pour jouer un match et le gracient pour ses erreurs. Pour se venger, François fomente un plan et instaure une paranoïa générale dans toute la commune. D’une manière presque équivalente à Série-Noire, les rôles de Patrick Dewaere sont avant tout des parias, errant sans but. Allant de silence pesant notamment lors de la scène des vestiaires, où le personnage se questionne sur sa motivation à jouer pour des supporters qui l’ont renié quelques jours plus tôt ; à un règlement de compte violent lors du repas qui célèbre la victoire du joueur, l’acteur est une pièce à double face. Pour beaucoup de son entourage et des réalisateurs avec qui il collabore, Dewaere exploite au maximum la détresse des personnages qu’il dépeint. Au point, pour certains, d’aller trop loin dans cette immersion – à devenir un écorché vif.

A partir des années 80, c’est un tournant dans la carrière du comédien. L’acteur si excentrique, critiqué pour son jeu trop sulfureux, devient plus modéré. Même si en interview Patrick Dewaere se déclare calme à l’écran depuis toujours, le début de cette décennie fait connaître un interprète plus assagi. Dans Beau-Père (1981) de Bertrand Blier, Dewaere incarne le type de rôle qui va lui coller à la peau jusqu’à la fin de sa vie : celui d’un individu qui ne trouvera jamais le bonheur. Cependant, là où ces précédentes productions faisant ressortir un léger avenir radieux pour les personnages interprétés, l’exemple de Beau-Père prouve ce changement si dramatique en mettant à l’écran l’histoire d’un paternel qui ne connaitra jamais l’allégresse. Excellant de ce rôle, les studios ne voient ainsi que le côté mélancolique de l’acteur. Auprès de Marc Esposito, journaliste, Dewaere explique son ressentiment à jouer ce genre de production : « Quand tu passes ta journée à faire des gestes de quelqu’un qui est triste, eh bien quand tu rentres chez toi, t’es pas drôle, mon vieux ! Quand tu fais cinq films de suite où tu joues un paumé, tu finis par être un paumé. »

 

Par beaucoup considéré comme un film testamentaire, Un mauvais fils (1980), de Claude Sautet raconte l’histoire de Bruno, ancien détenu de prison aux Etats-Unis, qui revient à Paris pour retrouver son père. Les retrouvailles sont tendues et le protagoniste tente de trouver ses marques à la capitale en cherchant des petits boulots et lutte perpétuellement contre la drogue, à laquelle il est addict. Outre le côté mélancolique qui se dégage de ce long-métrage, la performance de Dewaere se traduit par une finesse extrême, un côté enfantin déchu. Alors que dans la vraie vie, l’acteur est pris dans une histoire de tabloïd dès suite à une agression envers un journaliste (affaire Nussac) et que des problèmes de drogue deviennent omniprésents dans sa vie personnelle ; Patrick Dewaere s’investit intensément dans ce tournage, au point d’agir comme son personnage. C’est la prise de conscience d’une grande fragilité, auquel Claude Sautet commentera : « J’ai toujours eu l’impression qu’il recherchait un père » – en la personne de Yves Robert, interprète du père de Bruno.

 

Le 16 Juillet 1982, à la suite de problèmes de drogue, une perte d’attention de la part du public et une énième séparation douloureuse, Patrick Dewaere donne fin à ses jours. Parti à l’âge de trente cinq ans, c’est la perte d’un talentueux acteur. Coluche, intimement lié aux problèmes émotionnels de l’acteur, sombre dans une dépression et joue dans le film Tchao Patin (1983) de Claude Berri. Il y propose une performance beaucoup plus sombre que l’habituel comique qui se moquait des politiques de l’époque. En s’inspirant du jeu d’acteur de Patrick Dewaere, Coluche rend hommage à son ami en prenant les traits d’un homme malheureux et déplorable. Par ailleurs, par ce long-métrage, Coluche a fait naître une expression dans le cinéma français : « Faire son Tchao Patin » ; qui peut se traduire comme un virage vers le cinéma dramatique alors que l’interprète avait fait ses armes dans la comédie.

Toujours juste dans ses répliques, Dewaere est un acteur appliqué qui utilisait les traits distinctifs pour exprimer une émotion – tel que le froncement des sourcils pour l’énervement – avec minutie. Bien moins démonstratif que l’acteur Gérard Depardieu, Dewaere se caractérise par son côté tempéré, où chaque réplique doit être répétée jusqu’à l’excellence. Entre les deux « D » (Depardieu et Dewaere), d’après les paroles de Bertrand Blier, ils étaient à la fois alter-égo et adversaires. Tandis que Depardieu est un acteur bon vivant qui a réussi à atteindre un jeu d’acteur puissant sans jamais tomber dans le surjeu ; Dewaere est le comédien qui montrait peu d’expressions mais toujours de manière juste et justifiée. Ce tandem d’artistes était alors le plus prisé pour les créateurs des années 1970 – 1980. L’un est un homme qui dévoile sa bonhomie à chaque tournage, l’autre est une personne effacée, mais à l’écoute et bourru de travail.

 

Ce qui vaudra à Dewaere de ne jamais être pleinement apprécié par le grand public, ni par l’ensemble de ses compères. Alors qu’Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo ont reçu le parrainage de comédiens de l’avant-guerre, comme Jean Gabin ou Lino Ventura ; les acteurs des années 50 – 60 n’ont pas perpétué le passage de flambeau. Gérard Depardieu a eu la chance d’être soutenu par Jean Gabin du fait de leur caractère équivalent. Cependant, Dewaere, quant à lui, n’a reçu que des soutiens partiels du monde du cinéma, tel que celui d’Henri Verneuil – réalisateur des années 60, qu’on dit de vieille époque ou du « cinéma de papa ». Dans sa carrière professionnelle, Patrick reçoit des acclamations en demi-teinte de la part du public. Les succès comme les échecs sont monnaie courante pour le comédien. Pour l’ensemble de sa filmographie, l’acteur n’a reçu qu’une récompense : l’Etoile de cristal en 1975.

 

Dans cette rétrospective, il est évident que la carrière, comme la vie, de Patrick Dewaere peut être détaillée plus longuement. Pour éviter de rentrer dans une analyse factuelle, il est bon de rappeler que l’acteur a tourné dans plus d’une trentaine de longs-métrages et de nombreuses pièces de théâtre, que je vous conseille de découvrir. Déjà tous les films vus dans cette chronique, mais aussi d’autres créations comme Adieu poulet (1975) de Pierre Granier-Deferre ou encore Paradis pour tous (1982) d’Alain Jessua – ultime film de l’artiste. Bien qu’aujourd’hui, pour une large partie du public, Dewaere est considéré comme « le plus grand acteur de sa génération », d’après Yves Boisset, à son décès, la réalité paraît tout autre. Il faut attendre la fin des années 80 pour certains critiques, voire les années 2000 pour d’autres, pour percevoir le perfectionnisme de l’acteur. Sa force de jeu était méprisée. Trop éloigné des canons de l’époque, Patrick Dewaere était trop en avance sur son époque – d’après son entourage.

 

Pour conclure cette rétrospective sur Patrick Dewaere, le mot de la fin revient à son ami et confident, Gérard Depardieu : « Tu étais sensible, sans défense, presque infirme devant le monde. […] Tu allais à une autre vitesse, avec une autre tension. Ce n’est pas tellement que tu n’avais plus envie de vivre, mais tu souffrais trop, de vivre. Dans Série Noire, tu te précipitais contre le pare-brise de ta voiture. J’ai toujours mal en repensant à cette scène. J’ai l’impression d’un film testamentaire. Tu te débats, tu te cognes contre tous les murs. Il y avait l’agressivité désespérée, l’hystérie rebelle de Série Noire. Il y avait aussi la résignation accablée du Mauvais Fils. Ces deux films, c’est toi. »

 

Liste de films (non exhaustive) :

  • Les Valseuses; Dir. Bertrand Blier ; 1974 
  • Adieu poulet; Dir. Pierre Granier-Deferre ; 1975 
  • La Meilleure Façon de marcher; Dir. Claude Miller ; 1976 
  • Le Juge Fayard dit « le Shériff »; Dir. Yves Boisset ; 1977 
  • Préparez vos mouchoirs; Dir. Bertrand Blier ; 1978 
  • Coup de tête; Dir. Jean-Jacques Annaud ; 1979 
  • Série noire; Dir. Alain Corneau ; 1979 
  • Un mauvais fils; Dir. Claude Sautet ; 1980 
  • Psy; Dir. Philippe de Broca ; 1980 
  • Hôtel des Amériques; Dir. André Téchiné ; 1981 
  • Beau-père; Dir. Bertrand Blier ; 1981 
  • Paradis pour tous; Dir. Alain Jessua ; 1982 

Alexandre

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