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The King of Comedy

Réalisateur : Martin Scorsese
Scénario : Paul D. Zinmmerman
Sortie : 1983
Acteurs : Robert De Niro, Jerry Lewis, Diahnne Abbott, Sandra Bernhard
Note du film : 9/10

Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull, chacun à sa manière tente de démystifier le rêve américain. Dans ses films, Martin Scorsese, illustre de façon acerbe le « Rise and Fall » de l’entrepreneur américain. Avec l’aide de son acteur fétiche, Robert De Niro, le réalisateur new-yorkais dresse, au détour de héros marginaux, des portraits satiriques de la société américaine. The King of Comedy (1983), cinquième collaboration entre les deux artistes, ne déroge pas à la règle et offre une vision perverse d’une civilisation obsédée par l’image. Dans cette comédie noire, pince sans rire, c’est une immersion au sein d’un univers malsain, où l’idolâtrie pousse à commettre des extrêmes.

 

The King of Comedy raconte l’histoire de Rupert Pupkin, un marginal de la société, mythomane et mégalomane. Il se considère comme le plus grand comique de New-York, voire du monde, à tel point de le répéter à qui veut bien l’entendre. Rupert est fasciné par Jerry Langford, humoriste à succès qui tient un talk-show portant son nom. Le but de Rupert est de rentrer en contact avec le présentateur et de présenter un de ses sketchs à la télévision, par tous les moyens possibles. Afin d’être la vedette de l’émission quotidienne, Rupert va harceler jour et nuit Jerry et ses employés de bureau. Pour parvenir à ses fins, Rupert entreprend alors d’enlever le présentateur de télé.

Minutieusement, Rupert se construit des fantasmes sur sa vie de célébrité et de roi de l’humour. Au tout début du métrage, dès lors que Rupert a établi le contact avec Jerry Langford, le prétendu roi de la comédie s’imagine d’ores et déjà sollicité par l’animateur de télévision. Dans son imaginaire, ce dernier profite d’un repas dans un restaurant de luxe avec Jerry et discute affaire – tout ceci filmé en champ, contre-champ. Le réalisateur rappelle à l’ordre Rupert, mais aussi le spectateur, en nous montrant le « vrai » contre-champ : un appartement miteux. Tandis que la conversation imaginée se déroule dans un lieu idyllique, Scorsese oppose deux décors pour appuyer le monde onirique du personnage. Un décor de rêve pour découvrir les fantasmes de Rupert, face à un décor famélique qui correspond à la réalité du comédien.

 

Afin de percevoir tous les travers du personnage de Rupert, Martin Scorsese utilise une caméra omnisciente. Elle suit chaque action du comédien, que cela soit dans ses nombreux aller-retours dans les bureaux de Jerry Langford, comme dans sa tête. En effet, lors d’une scène imaginaire, le grain à l’écran devient celui d’une caméra de talk-show des années 1970 et diffuse le « mariage » du héros. La lumière devient brillante, presque féerique, et l’angle de vue met en valeur les deux jeunes mariés. Le pasteur qui célèbre le culte n’est autre que l’ancien proviseur de Rupert, qui s’excuse de l’avoir fait redoublé au lycée. Tout ce délire mégalo s’achève par la phrase du proviseur/religieux : « C’est vous Rupert, qui aviez raison ».

 

Scorsese accentue, au travers d’effets de mises en scène, la solitude du protagoniste. Par des cadres serrés, le comédien est isolé dans son délire narcissique. De nombreux plans du film enferment le personnage dans des cases : carreaux de fenêtres, allées de couloirs ou cabines téléphoniques. Ces prisons visuelles suggèrent ainsi la claustration de l’humoriste. Un plan restait fameux est celui où le personnage récite une saynète face à un mur où des spectateurs, rigolant à gorge déployé, sont imprimés dessus. Rupert est seul devant ce pan de mur et la caméra opère un travelling arrière dévoilant une salle vide et un comique isolé. Appuyé par des rires enregistrés, ce plan symbolise la tour d’ivoire que s’est formé Rupert. 

 

The King of Comedy est un œuvre qui traite de la célébrité sous toutes ses coutures. La mise en scène de Martin Scorsese est faite pour nous faire prendre du recul concernant le monde du show-business, afin de mieux nous questionner. Le tout premier plan du film dévoile le personnage de Jerry Langford tentant de sortir du studio d’enregistrement tandis qu’une foule de spectateurs cherchent à tout prix à obtenir un autographe, ou plus, de l’animateur. La caméra de Scorsese enferme le présentateur dans un plan serré où la foule devient un entonnoir pour Langford. Enfin rentré dans sa voiture, ce n’est autre que Rupert qui l’attend – tous deux enfermés dans un espace clos. La popularité de Jerry lui a valu d’être demandé de tout part, au point d’être acculé dans son espace personnel.

 

Plus tard, lorsque le présentateur quitte son bureau pour marcher dans la rue, la caméra le filme à hauteur d’homme mais aussi en contre plongée. Prouvant ainsi que des yeux de fans l’observent constamment. Même lorsqu’il traverse la rue, une vieille dame l’interpelle pour lui demander un autographe et une dédicace pour son neveu malade qui l’appelle de l’hôpital. Ce dernier s’exécute pour la première demande mais refuse gentiment pour la seconde requête. Par cet acte, la femme, au départ admiratrice, le fustige : « Je vous souhaite d’avoir le cancer ! ». Parole que l’acteur Jerry Lewis a réellement reçu une fois dans sa vie.

En ce qui concerne le casting, si suggérer le rôle d’un fanatique à Robert De Niro paraît être une évidence, ce dernier se surpasse pour ce long-métrage. Véritable caméléon, De Niro devient un homme aliéné par la surconsommation des images. Alors que l’acteur était connu pour ses rôles d’hommes brutes, avec sa classique mimique faciale, cette fois-ci c’est un homme plus banal rêvant de célébrité qui apparaît à l’écran. Avec un physique de monsieur tout le monde, De Niro transparait comme ambitieux mais fragile dans son état d’âme.

 

En parallèle, l’acteur Jerry Lewis, humoriste américain à succès, devient Jerry Langford, un rôle à la fois proche et distant de sa personne. Comme ce dernier, Langford est un animateur populaire qui invite chaque soir des milliers de téléspectateurs à un rendez-vous humoristique quotidien. A la différence de l’acteur, Langford est un homme misanthrope et acariâtre en dehors des plateaux. En étant enfermé dans cette image de vendeur de rire, qu’il a lui même crée, le présentateur devient l’avatar de la surexposition à l’image. D’abord en étant devenu l’ombre de lui-même, puis en offrant continuellement des images pernicieuses à son audimat, dont Rupert et sa partenaire de crime, Masha, sont les victimes. Interprétée par l’actrice Sandra Bernhard, ce rôle féminin n’a aucune ambition précise, hormis de posséder à tout prix Jerry Langford – à tel point de devenir une prédatrice sexuelle. Habituellement, les femmes, dans le cinéma de Scorsese, sont des putains ou des mères de famille. Dans The King of Comedy, Masha est indépendante, financièrement et sentimentalement, mais reste dans la lignée de ces femmes ambitieuses et sulfureuses, sans plus de caractéristique. C’est alors une légère déclinaison au sein de la filmographie du réalisateur.

 

Pour accentuer l’opposition entre célébrité et réalité, Scorsese manie judicieusement une esthétique propre aux talk-show américains. Dans ces divertissements, tout y est si lumineux et colorés. En contradiction, les bureaux de Jerry Langford ou les studios d’enregistrements – l’envers du décor – sont grisâtres et ne reflètent aucune personnalité. De la même manière, la bande-son du film emploie différents titres de jazz, typique des émissions télévisuelles américaines, donnant un air plus swing – comme le morceau The Finer Things du musicien Donald Fagen. Tout ceci est contrasté par des chansons plus terre à terre dont le morceau Swamp du groupe Talking Head, qui décrit, par ses paroles, l’histoire d’un homme qui sombre dans la folie.

A l’instar de Taxi Driver (1976) et Ragging Bull (1980), The King of Comedy fait partie implicitement de notre culture collective (Simpson, Joker, etc…). A défaut de ne pas avoir connu de succès en salle comme ces deux prédécesseurs, le long-métrage est devenu une référence en matière de satire humoristique. Scorsese ne fustige en rien le surplus d’images, dont il est lui-même consommateur, mais bien de la déformation de ces dernières. Aucunes productions visuelles ne doivent devenir aliénantes. Le spectateur ne doit pas idolâtrer quelconques vedettes, comme le fait Rupert. Aujourd’hui, où les images, la quête de popularité ou le culte de la personnalité sont des ambitions d’autant plus omniprésentes, The King of Comedy résonne encore plus fort. « Le quart d’heure de célébrité pour tous » qu’avait annoncé Andy Warhol en 1968, est donc bien une réalité.

 

En guise de recommandation, Joker (2019) de Todd Phillips, est aujourd’hui unanimement acclamé, par ses nombreuses récompenses. Comme Rupert Pupkin, Arthur Fleck est un comédien raté, méprisé, qui sombre dans une lente folie. En terme de continuité cinématographique, c’est Robert De Niro qui cette fois-ci prend les traits du présentateur malhonnête de talk-show et Joaquim Phoenix qui revêtit les traits de Rupert Pupkin, sous les habits du Joker. Moins connu, Photo Obsession (2002) de Mark Romanek raconte l’histoire d’un développeur de photo argentique, sans famille et sans amis. Interprété par le regretté Robin Williams, l’employé Sy Parrish s’intéresse de près à la famille Yorkin, qui s’apparente à être la famille idéale. Dès que Nina, la mère, dépose une pellicule, ce dernier duplique un second échantillon pour les garder. Au bout de dix années, Sy possède l’entièreté des photos des Yorkin, à tel point d’être aliéné par ces images de famille parfaite. Lorsque Sy découvre, en développant une pellicule, que le mari de la famille entretient une relation extra-conjugale, tout cet univers illusoire s’effondre, ainsi que la sanité du héros.  

Alexandre

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