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L’Amant d’un Jour

L’Amant d’un Jour

Réalisateur : Philippe Garrel
Scénario : Philippe Garrel, Jean-Claude Carrière, Caroline Deruas et Arlette Langmann
Sortie : 2017
Acteurs : Éric Caravaca, Esther Garrel, Louise Chevillotte
Note du film : 8,5/10

L’Amant d’un jour est un drame épuré autour du triangle domestique formé par un professeur de philosophie, sa compagne – qui est aussi son étudiante – et sa propre fille. A travers les figures féminines, la douleur d’être aimé et le bonheur se déclinent entre le noir et le blanc, avec toutes les nuances de gris qui colorent la complexité des sentiments.

 

Le film s’ouvre entre deux séquences d’émotions extrêmes, creusant un fossé des sentiments amoureux. Une première femme, Ariane – jouée par Louise Chevillotte – est une étudiante qui s’empresse de retrouver son professeur de philosophie en parcourant les escaliers universitaires pour le rejoindre dans les toilettes et se livrer à son étreinte. La seconde femme, Jeanne – jouée par Esther Garrel – est envahie par le chagrin, s’écroule dans la rue après avoir été quittée par son fiancé et retourne chez son père en pleine nuit. Ces deux cris de femmes se font échos : la jouissance et la tristesse sont dans une dérobade amoureuse du plaisir et de la douleur. Ces deux mouvements se rejoignent sous le même toit. En effet, le lendemain, Jeanne fait la connaissance d’Ariane, qui est l’amante de son père. Les deux femmes du même âge, qui gravitent autour de Gilles – joué par Eric Caravaca – se soutiennent mutuellement, l’une pour surmonter les tourments de la séparation, l’autre pour cacher ses fréquents écarts de conduite. Une relation se nouent autour des secrets qu’elles partagent : Jeanne a fait une tentative de suicide avortée, tandis qu’Ariane a posé pour des photos compromettantes.

Le motif de l’amitié féminine investit le cadre, qui se constitue comme un contrechamp à la relation qui lie les femmes aux hommes. Le père est hors pouvoir, presque hors champ, mais s’avère touchant. Le cinéaste établit une dualité irrémédiable entre les sexes – l’étudiante affirme « on ne fonctionne pas pareil » – qui laisse place à une sororité. Ces personnages féminins cristallisent les pôles de la filiation et du désir en plaçant l’homme en leur centre. Les tourments amoureux de Jeanne la ramènent à une forme de faiblesse, de naïveté, notamment lorsqu’elle questionne son père (« papa, c’est quoi être fidèle ? »). Sa gravité rencontre les certitudes, la liberté du désir et l’accomplissement du plaisir d’Ariane. Les vies, aspirations et doutes de Jeanne et Ariane investissent l’image. Les deux femmes s’opposent et se complètent à la fois, dont le sujet de l’amour soude leur relation amicale.

 

Le noir et blanc entrelacent des sentiments contradictoires avec une sensibilité bouleversante. En effet, dans l’appartement, les affects opposés se tissent entre une histoire d’amour qui commence et l’autre qui prend fin. Pourtant, l’une et l’autre s’écoutent, se répondent et se contaminent. Au-delà de cette amitié, les deux femmes s’inscrivent dans une rivalité, comme celle entre le noir et le blanc de la pellicule. Elles ne partagent ni le même rapport au corps, ni la même temporalité. Ariane rayonne, joue de sa sensualité auprès des hommes, accède aisément au désir présent, papillonne librement sans culpabilité. Jeanne est fragilisée par sa rupture, la douleur lui est chevillée au corps et elle espère intimement restaurer son couple, quitte à tromper les apparences et se mentir à elle-même. Les antagonismes sont constamment accentués par les actes manqués, les non-dits ou paroles échappées, les gestes esquissés.

Malgré l’apparente simplicité du récit, le scénario ménage en réalité des moments de rebondissements, des non-dits et des éléments qui arrivent à contretemps. Par exemple, le film nous conduit à considérer que le fiancé de Jeanne a mis un terme à leur histoire, mais ce dernier dit, lors d’une conversation avec Ariane, que Jeanne est partie sur un coup de tête. Malgré le mensonge de Jeanne, le scénario rend le spectateur complice de l’histoire, et l’invite à reconsidérer ses suppositions. D’autre part, lorsque Gilles assiste à la tromperie de son amante, le spectateur éprouve une déception, peut se sentir trompé dans sa propre compréhension des personnages et des sentiments. L’ensemble de l’interprétation du récit est en proie au doute, laissant s’installer entre les personnages la jalousie, la douleur, le chagrin. D’ailleurs, Jeanne affirme : « Je me suis faite avoir par l’amour ».

 

Dans les plans d’ensemble des espaces extérieurs, les personnages serpentent la ville, les rues parisiennes, l’université, les couloirs, les cafés. Cette esthétique du lieu commun et du cadre urbain cristallise un goût pour le populaire. Malgré la complexité des sentiments amoureux, la fugacité et la volatilité déteignent sur les mouvements des personnages, notamment sur leur déambulation. Une légèreté s’empare des lieux, portée par la jeunesse et la vitalité des deux femmes. Le cadrage est alors plus serré dans l’appartement, à vocation plus intimiste. Lorsqu’un personnage est au cœur de l’image, les mouvements de caméra cherchent à ramener dans le cadre l’interlocuteur, offrant un équilibre de la parole. De manière inconsciente, Philippe Garrel entreprend une documentation de ces relations amoureuses cruelles, notamment avec la présence ponctuelle d’une voix-off. Les plans se prêtent à une chorégraphie des corps aimants, écorchés, à la recherche du plaisir, qui s’entrelacent ou se séparent, s’accordant même une danse.

De film en film, Philippe Garrel amplifie la veine autobiographique, en fictionnant sa propre vie. D’ailleurs, il met en scène sa propre fille, l’actrice Esther Garrel et dirige, pour son premier rôle, l’actrice Louise Chevillotte. La jeunesse et légèreté qu’elles incarnent permet de contrebalancer avec la maturité et sobriété de l’acteur Eric Caravaca, à la fois père et amant. Le réalisateur s’entoure des scénaristes Jean-Claude Carrière et Arlette Langmann, permettant à ce drame d’être teinté d’humour, de sensibilité et de finesse. Philippe Garrel fait de nouveau appel à Jean-Louis Aubert pour la bande sonore de son film, avec la composition de la ritournelle qui fait valser les amants d’un jour.

 

Entre la légèreté d’une jeunesse qui se cherche, qui aime, qui souffre et la simplicité et authenticité du cadre, ce sont des « airs » – ou peut-être des réflexes – du cinéma de la Nouvelle Vague semble embaumer ce film.

Ambre

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