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Été 85

Réalisateur : François Ozon
Scénario : François Ozon, librement inspiré du roman « Dance on My Grave » d’Aidan Chambers
Sortie : 2020
Acteurs : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty
Note du film : 8,5/10

« La seule chose qui compte, c’est d’échapper, d’une manière ou d’une autre, à son histoire… ». Entre une troublante fatalité et une aspiration à la liberté, François OZON nous transporte dans les bribes de la mémoire d’un amour éclair et nous implante dans un décor nostalgique.

 

Depuis plusieurs années, le réalisateur François OZON récolte les succès auprès du publics et les saluts de la critique. Par ailleurs, un an plus tôt, Grâce à dieu a obtenu le « Grand prix du jury de la Berlinale », tout en devenant une œuvre au service d’un combat judiciaire de longue haleine, qui se dresse contre les abus sexuels au sein de l’Eglise catholique. Pour son dix-neuvième long-métrage, François OZON rembobine le temps pour se plonger dans une autre époque, en s’appuyant sur une lecture marquante de son adolescence. En effet, le réalisateur s’est librement inspiré du roman Dance on my grave d’Aidan CHAMBERS. Il reporte à l’écran les émois amoureux entre deux jeunes adolescents au bord du littoral normand, durant la période estivale, au milieu de la décennie 1980. Ainsi, le réalisateur choisit sobrement d’intituler son nouveau film Eté 85 : une simple indication temporelle, qui concentre à elle seule les souvenirs d’une génération et la mémoire du héros.

Les tumultes de cet amour sont couchés sur le papier par le jeune Alexis : sa douleur paralyse son oralité, mais sa sensibilité d’écriture devient libératrice. Les mots permettent de cristalliser la mémoire troublée et troublante du héros. Le réalisateur dresse alors le tableau de cette histoire au fil des mots et des pages sous la plume du personnage. Le film s’ouvre sur une séquence de la mort qui habite le héros, et les comptes que ce dernier doit rendre. La voix-off du héros est grave et profonde, ce qui donne un ton dramatique au déroulement de l’histoire, puisqu’il se représente dans son acte comme étant « dingue, mais pas fou ». Ceci amène alors à voir Alexis comme un psychopathe. Pourtant, la séquence suivante plonge le spectateur dans un cadre maritime, estival et vacancier, sur la bande musicale dynamique « In Between Days », du groupe britannique The Cure. Une simple sortie en mer devient une échappée de la mort, puisque David sauve Alexis de la noyade. L’éclosion de cette relation est spontanée, quasiment effrénée : pour Alexis, David devient « l’ami de ses rêves ». Pourtant, sa passion amoureuse, pleine de vie, est rattrapée par la mort : les deux amants font un pacte « mortel » et « macabre ».

 

Les images du film s’intègrent pleinement dans le parcours artistique de François OZON. En effet, Eté 85 est entièrement tourné en Super 16. Le réalisateur a déjà la main sur de ce type de caméra, puisque le Super 8 fut le format de ses premiers courts métrages. Ainsi, selon le réalisateur, le choix de la pellicule s’est rapidement imposé pour ce film d’époque. Le grain si particulier du Super 16 permet alors de jouer sur les nuances des couleurs, qui, au fil de la passion amoureuse, sont de plus en plus vives, chatoyantes et éclatantes. Ce paroxysme est atteint avant que cette relation ne vienne perturber le cœur et la raison du héros. Autour de cette relation gravite un décor vintage de fête foraine, blousons, bécanes, coupes de cheveux rebelles… Ces images si colorées sont quasiment électrisantes pour le regard du spectateur, qui se retrouve au plus près de la beauté et de la sensualité des corps. Ces images portent alors les perfections du souvenir, l’idéalisation du cadre social et temporel, finalement un rêve qui se concentre sur ces deux adolescents amoureux. Rien ne semble être perturber cette relation : leur idylle est intouchable, seuls Alexis et David en sont maîtres. Pourtant, Alexis est aveuglé par la dimension manipulatrice de David, puisque ce dernier est à la recherche du plaisir constant, et il parvient à obtenir ce qu’il désire de cette relation.

D’ailleurs, le film est la construction de ce duo, qui joue de sa propre dualité. Les deux jeunes acteurs Félix LEFEBRE, dans le rôle d’Alexis, et Benjamin VOISIN, dans le rôle de David, témoignent tous deux d’une complicité et alchimie qui se nourrit des contrastes entre les personnages. En effet, David est un fauve, tandis qu’Alexis est un agneau – selon les dires du réalisateur. Ces jeunes hommes sont entourés d’autres figures – notamment l’adulte inquiet, le parent, le professeur – avec d’importants acteurs qui ont déjà figuré dans les précédents films de François OZON, comme Melvil POUPAUD, Isabelle NANTY, Valeria Bruni TEDESCHI. La force du cinéma est de rendre ce duo inséparable, malgré la tournure tragique des événements. Ces deux figures masculines qui s’entremêlent, s’entre-aiment et s’entredéchirent peuvent aisément nous évoquer des couples comme Arthur RIMBAUD et Paul VERLAINE en littérature – dont un poème de ce dernier est lu par les deux adolescents – ou encore plus récemment au cinéma avec les personnages Elio et Oliver dans Call me by your name de Luca GUADAGNINO.  

 

 

Le film a tout de même reçu le label du Festival de Cannes 2020. Malgré la tournure des événements autour de l’actualité sanitaire mondiale, qui a entraîné l’annulation du festival cette année et n’a donc pu offrir une grande visibilité au film, Eté 85 nous transporte par la volupté et l’intensité qui émane de cette histoire amoureuse, ce duo d’adolescents, ce cadre estival. Dans cette époque rêvée, la naissance du désir s’accompagne de la découverte de soi et de l’autre, de l’insouciance, de la désinvolture, de la résilience. Cet été est sous le signe du triangle de l’amour, de la vie et de la mort.

François OZON propose un film qui sort des représentations récurrentes de l’homosexualité des années 1980 dans le cinéma, souvent sombres. Techniquement, certaines séquences sont parfois trop rapides, et les ellipses temporelles peuvent être déstabilisantes pour le spectateur. D’autre part, certains enjeux, notamment autour de la mort, sont annoncés et semblent être délaissés au fil de la relation amoureuse, sans pour autant être réappropriés dans les événements tragiques qui bouleverse la vie du héros. Néanmoins, le film est flamboyant, émouvant, énigmatique, avec le style épuré du réalisateur, en proposant des images diaprées, qui témoigne une nouvelle fois de son talent.

 

Vous pouvez aussi découvrir le film de la co-production franco-suédoise-géorgienne And then we danced de Levan, qui fut sélectionné l’année dernière pour la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes. Au sein de la capitale géorgienne, Merab s’entraîne dans le ballet national de la danse traditionnelle géorgienne et se retrouve confronté à son rival et son désir. Les séquences de danse et d’amour déjouent les mœurs, avant que le poids de la société conservatrice ne le rattrape.

Ambre

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